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Dans son F3, en presqu’île de Lyon, Fany héberge depuis début décembre Alsko, un jeune migrant de Guinée
Par Laurent Burlet publié le 12/07/2018 à 17h59
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Making-of
Alsko est un surnom. A la demande de ce jeune Guinéen, nous l’avons appelé ainsi. De son côté, Fany Buy a tenu à témoigner à visage découvert.
Dans la petite cuisine de ce petit appartement, le regard d’Alsko se perd.
« C’est difficile », répète-t-il pour ponctuer l’évocation de son parcours.
Guinée-Mali-Agadez-Libye puis le bateau Zodiak jusqu’aux eaux internationales où un bateau de la Marine italienne l’a secouru. Ensuite, ce fut les « hôtels de la région de Naples », des « problèmes d’argent » et le train jusqu’à la frontière française à Bardonecchia. Il n’en dira guère plus.
Depuis décembre dernier, il vit chez Fany Buy, 40 ans :
« Il est tellement discret que quand il entre parfois dans une pièce il me fait sursauter », plaisante Fany.
C’est Milo, son fils, un collégien de 12 ans qui sent le plus sa présence, au bas de son lit superposé où dort Alsko.
« J’ai l’habitude de partager ma chambre avec quelqu’un. Chez mon père, j’ai un petit frère. Alsko est un peu mon grand frère quand je suis chez ma mère. »
Dispositif saturé
Depuis près d’un an, Lyon connaît comme d’autres villes françaises davantage d’arrivées de mineurs non accompagnés (MNA). Selon la Métropole, il y aurait plus d’un millier de MNA arrivés en 2017 contre 600 en 2016.
Le service de la Métropole (la Méomie) et l’association missionnée depuis avril (Forum réfugiés), qui doivent les héberger en urgence et faire une première évaluation de leur âge, sont saturés. En attendant d’être reconnus mineurs, ces migrants sont à la rue (lire notamment l’enquête de Médiacités). Certains trouvent des squats, d’autres sont hébergés chez des habitants.
Quand Alsko est arrivé chez elle, il y avait urgence. D’août à novembre, il dormait à la belle étoile sur « la » plateforme, derrière la gare de la Part-Dieu. Plusieurs dizaines d’autres jeunes migrants y squattaient en attendant la reconnaissance de leur minorité par la Méomie, le service de la Métropole de Lyon en charge des mineurs isolés étrangers, qu’on appelle aujourd’hui les « mineurs non accompagnés ».
Un jour, en revenant d’un rendez-vous à cette Méomie, il a trouvé des grilles là où il dormait. Nulle part où aller. Une bénévole retraitée du réseau d’aide aux mineurs isolés l’a pris quelques jours à la campagne.
« Cela faisait trop loin pour aller à mes cours de français à Vaulx-en-Velin [une classe pour élève allophone, ndlr] », explique Alsko.
C’est l’Ouvre-porte, une de ces nouvelles associations spécialisées dans l’« hébergement solidaire » qui a trouvé Fany.
A l’époque où son fils était encore à l’école élémentaire, à Michel Servet, elle avait déjà accueilli une famille géorgienne de l’école et une autre rencontrée un soir à la Part-Dieu. Elle l’a fait plusieurs fois une semaine, quand elle était absente de chez elle.
« Mais c’était trop dur, à mon retour, de leur demander les clés. J’avais l’impression de les remettre à la rue ».
Là, l’association L’Ouvre Porte fait l’intermédiaire et garantit la prise une charge globale. Si l’accueillant ne peut plus accueillir, d’autres foyers prennent le relais.
« Je ne suis plus toute seule. Je sais qu’il y aura toujours quelqu’un pour prendre en charge Alsko. »
Fany n’est pas membre d’un parti politique ou d’un syndicat. Elle se rend utile en faisant le « minimum », dit-elle modestement, en citant Christiane Taubira « je fais ma part ».
A entendre cette « comédienne intermittente précaire », comme elle se décline professionnellement, elle héberge Alsko plus « pour elle ».
« Comparativement aux pays d’où viennent les migrants, on est relativement privilégié en France. Mais si un jour il m’arrive quelque chose, je voudrai que quelqu’un tende la main à mon fils et s’en occupe. A ce moment-là, toutes ces pensées de peur de l’inconnu, d’agressions sont parties. »
Une forme d’« humanisme mondial ».
Fany aimerait également qu’Alsko se dise qu’il y a de « bons adultes ».
« C’est un peu prétentieux, mais il s’est tellement fait couillonner que je voulais qu’il ait une image positive de quelqu’un. »
« Ça ne devrait pas être aux citoyens de prendre en charge cette question des migrants »
Fany s’accroche, en colère, à cette hospitalité :
« On voit des images de migrants sur des bateaux en Méditerranée. Chez moi, la géopolitique rentre dans mon salon. C’est trop grand et trop dur pour moi. Ça ne devrait pas être aux citoyens de prendre en charge cette question. »
Avec Alsko, elle parle très peu de la route et de ses épreuves pour arriver en Europe. Il n’évoque guère le sujet. « Trop de souffrance », répète-t-il encore. Parfois, il craque. Des pleurs et des mots lâchés sur le désert traversé et sur le travail forcé en Libye.
Et puis, il y a sa situation en France qui ne tient qu’à un fil. Il aimerait « faire des études », apprendre un métier comme celui de mécanicien qu’il avait commencé à pratiquer avec son grand frère.
« Avec ma sœur, c’est la seule famille qui me reste ». Son téléphone lui permet de garder un lien avec sa famille. Il lui a permis aussi de franchir les Alpes pour arriver en France, à Briançon par le col de l’Echelle.
Fany raconte : « Quand son téléphone est tombé en panne, on s’est cotisé au sein de l’association pour vite lui en payer un nouveau. C’était vital pour lui. On a fait pareil pour une paire de crampons de foot.
Une vie suspendue
Aujourd’hui, Alsko a une vie en suspens. Après une première évaluation par la Méomie et une première réponse négative, il a engagé un recours auprès du juge pour enfants. En attendant, il vit chez Fany et Milo, regarde la Coupe du monde et étend le linge.
Et en septembre ?
Impossible de répondre, il faut la décision d’un juge qui reconnaisse qu’il a 17 ans comme les papiers qu’il a fournis le disent. Fany ne lui dira pas de partir :
« C’est une goutte d’eau. Je ne suis pas là pour sauver tous les migrants, j’aide juste un môme à avoir un toit. »